On l'oublie, mais il y a fort longtemps, les Kwon ont connus un drame qui les ont marqués. Les plus jeunes ne sont pas forcément au courant, mais les oncles et les tantes le connaissent très bien. Il y a fort longtemps, Qian Li n'était pas née seule. Elle avait un adorable jumeau, lequel devait reprendre l'entreprise familiale à l'origine. Forte de sa place sur le marché financier, les Kwon excellent en assurances. La place de ce jeune garçon était dessinée depuis un moment, mais un événement tragique est survenu. Qian Li s'est toujours épanouie à Shanghai, mais depuis cela, elle y retourne avec le cœur serré.
C'est à l'âge de 8 ans que s'est éteint le digne héritier des Kwon. Officiellement, il est mort lors d'un accident ; une voiture, un conducteur éberlué, une mauvaise sortie de virage, l'enfant sous les roues, le tout en une fraction de secondes. Qian Li était présente à ce moment-là ; l'enfant fut traumatisée, mais pas pour les mêmes raisons que les adultes. Tout était de sa faute. Ils l'ont tous niés, mais elle seule savait que ce n'était pas un vrai accident. Les regrets sont venus immédiatement, mais le mal était fait. Abattus et sous le choc, le patriarche prit une décision radicale. La mort du jeune Kwon commençait à susciter des tensions. Déménager et délocaliser l'entreprise était la meilleure chose à faire.

Très logiquement, c'est à Qian Li que revint la place de l'héritier. Il n'y a eu aucuns débats concernant son sexe, qu'elle le remplace était une évidence pour tous. Qian Li embrassera les études destinées à son frère, et la petite n'eut son mot à dire là-dessus. Dès lors, la relation entre Qian Li et son père ont grandement changées.
Fini les petits surnoms affectueux, fini les petits compliments par rapport à maman, et fini l'école  pour filles. Dorénavant, elle allait être éduquée comme lui aurait dû être. Qian Li ne s'est jamais plainte de ce changement de traitement ; elle comprenait parfaitement que rien ne se serait comme avant, et que l'heure était à l'adaptation pour toujours faire honneur à ses parents. Mais au-delà d'une éducation très stricte, privée de loisirs et de garçons, ce qui lui fit le plus mal est ce manque de reconnaissance de la part de son paternel. Encore aujourd'hui, Qian Li entend encore des « Mais lui,  il l'aurait mieux fait », « Lui, il l'aurait vu plus vite », « Lui, il ne se ferait pas traiter de la sorte », et bien d'autres remarques qui ont le don de la blesser derrière un visage impassible. Bien qu'elle ait été toujours la première à l'école, bien qu'elle ait toujours suivie leurs conseils, bien qu'elle ait toujours été polie et respectueuse, rien de ce qu'elle fait ne satisfait pleinement le père Kwon. D'origine coréenne, Qian Li a toujours eu l'impression que le daron en attend toujours plus de sa part. Même après des études remarquables en faculté d'économie et une spécialité à l'international, le père reste exigeant avec sa fille. Dans le cadre des conflits entre les quatre familles, le père n'hésite pas à faire des éloges de sa fille pour montrer qu'elle est la meilleure des héritiers ; en privé, il n'hésite pas à la rabaisser, mais jamais en présence de ses cadets. Une situation que le vit mal Qian Li et qu'elle garde pour elle. Pas question de montrer une quelconque faiblesse envers ses cadets. Elle l'héritière, elle doit leur montrer l'exemple. La chose est indicible.

S'ajoute à cela Séoul et ses habitants. Les Séoulites sont affreux. Elle s'en est aperçue très rapidement. La petite fille n'eut pas le temps de sécher les larmes de son frère décédé qu'elle se retrouva dans un nouvel établissement sans repères. Très vite, elle a été mise à l'écart. D'une part, elle ne parlait pas aussi bien le coréen que maintenant, ce qui constituait un facteur grave pour les jeunes de son âge ; d'autre part, le fait qu'elle soit sino-coréenne faisait mouche. Elle ne fut jamais sujette de brimades, apprenant la répartie assez rapidement. Mais tous les surnoms désagréables lui étaient dus. Les pires étaient ceux basés sur le physique. Il était dur d'endurer cela lorsqu'on a un passé qui nous a fragilisé comme celui de Qian Li. Chose qu'elle régla par la chirurgie esthétique à l'âge de 16 ans, contre l'avis de ses oncles et ses tantes. Reste qu'elle se retrouva seule pendant un long moment, trop longtemps à son goût. Assez pour comprendre la mentalité coréenne qui est foncièrement raciste, selon elle. Les coréens n'aiment pas les étrangers, telle est sa conclusion. C'est donc pour le bien de la famille qu'il faut se faire une place parmi tous ces loups et ces lionnes.